Un coup de Bible dans la philosophie

Henri Meschonnic (éd. Bayard 2005)



Article paru dans l’Arche en 2005

Avec Un coup de Bible dans la philosophie ,

Henri Meschonnic nous propose de penser le rythme pour penser le langage de la Bible. Bien plus, la Bible est à ses yeux "un levier théorique pour transformer toute la pensée du langage, du rythme et du traduire." C’est un expert qui parle puisqu’il a entrepris lui-même de traduire la Bible en refusant ce qu’il qualifie de surdité historique des traductions d’inspiration catholique au texte hébreu. Depuis des années, il a voulu" débondieuser" les traductions de la Bible, quitter le théologico-politique pour cerner le sacré comme une union fabuleuse des mots et des choses Il entend aller à "la force qui va" (Victor Hugo), à la force du texte, en le déshéllénisant, en le délatinisant, bref en le déchristianisant et en évitant la poétisation académique.

Le coup de Bible vient de ce que les choses du langage de la Bible sont cachées par l’histoire même de la lecture, de la pensée du langage par l’histoire de la traduction, et qu’en les faisant apparaître non seulement Meschonnic nous renvoie au texte original et à son rythme mais nous apprend en pratique une nouvelle théorie du langage féconde pour apprécier l’ensemble de notre patrimoine culturel. Ainsi "la Bible est-elle dans notre culture pour que la théorie du langage ne dorme pas. Elle est la veille, dont la philosophie est le sommeil." Ce qui signifie que les idéologies gréco-chrétiennes ou judéo-chrétiennes ont endormi la formidable énergie du texte biblique que Meschonnic veut faire revivre, "réveiller" en restituant au texte sa force de poème.

Depuis que le christianisme a pris le pouvoir à Rome, à la fin du IVème siècle, une tradition s’est constituée autour de l’idée que les juifs étaient les faussaires du texte biblique. Les chrétiens ont tenté de soumettre la Bible aux catégories grecques binaires du langage. Au Ier siècle, Flavius Joseph a prétendu qu’elle se composait d’hexamètres pour mieux faire entendre aux Grecs qu’elle était aussi belle que L’Iliade ou L’Odyssée ! La critique biblique s’est ensuite efforcée de traquer ce qui était poésie dans la Thora pour l’opposer à la prose. Nouvel échec. Par ailleurs, entre le VIème et le IXème siècles des grammairiens juifs, les Massorètes ("transmetteurs") ont inventé des signes écrits pour noter les voyelles et les rythmes et conserver l’organisation du texte biblique en versets. Ils ont ainsi codifié de très vieilles pratiques mélodiques et gestuelles. D’ailleurs dans l’édition de la Pléiade ou dans la Bible de Jérusalem, des notes précisent souvent : "texte hébreu incompréhensible." On y décèle l’anti-judaïsme philologique chrétien qui disqualifie a priori le texte juif massorétique. Alors que la recherche du sens chrétien est toute entière dans la théologie de la préfiguration avec un signifiant qui serait l’Ancien Testament dont tout le sens serait dans le signifié, le Nouveau Testament, l’herméneutique juive, elle, est toute entière exégèse explicative, prescriptive et narrative, dialectique de l’infini du sens, récit et éthique. Ainsi Meschonnic nous fait-il comprendre que traduire la Bible c’est faire aujourd’hui à la langue ce qui n’a jamais été fait. C’est un défi littéraire. A distance du bruit que fait le signe, qui travaille à déplacer toute représentation, le rythme, lui, prophétise, même s’il ne sait pas qu’il prophétise.